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Christophe LEGUIADER in situ

  • Photo du rédacteur: Pierre RAFFANEL
    Pierre RAFFANEL
  • 22 févr.
  • 8 min de lecture
Atelier de Christophe Leguiader
Atelier de Christophe Leguiader

Post et interview de Pierre Raffanel - Revue Post'Art #228


Pierre Raffanel : Quand as-tu commencé à peindre ?

Christophe Leguiader : Jeune, je dessinais à Falaise dans le Calvados. Mes premières influences artistiques furent celles d’André Dangoisse,  mon grand-père photographe, autodidacte, passionné et émérite. Ses centaines de clichés d’après 1945 au cœur du Pays de Falaise lui vaudront même le surnom du « Doisneau du Bocage ». Quelques années après la mort prématurée à 54 ans de mon grand-père, l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie fera son éloge; s’ensuivra la numérisation par les Musées de Normandie d’une grande partie de ses tirages photographiques. « Je décide à ce moment-là que d’une manière ou d’une autre, je ferais de l’art, même collectionneur… mais encore plus important était mon attrait pour les arts circassiens : je voulais être clown ». À douze ans, le décès de ma grand-mère m’affecte énormément, je tombe malade. Le médecin de famille venu à mon chevet découvre avec étonnement ma chambre entièrement décorée d’affiches de cirque et me met en contact avec notre pharmacien, ami des Fratellini. Je rencontre un des membres de leur famille et je m’inscris à l’école du cirque située à la halle aux cuirs de la Villette à Paris. Tous les mercredis et samedis, pendant 2 ans, j’ai suivi des cours avec Annie Fratellini.

 

PR : Cet apprentissage a-t-il eu un impact pour la suite de ton parcours d’artiste ?

CL : Primordial car ces cours m’ont appris la discipline. « En matière artistique, on peut faire ce que l’on veut, mais il faut d’abord beaucoup travailler». Essentiel, car mon apprentissage au sein de la famille du cirque m’a transmis le respect du public. « Sans le public, l’artiste n’existe pas ! ».

 

PR : Et après ?

CL : Je faisais de l’écriture, j’écrivais des poèmes sans trop savoir ce que j’allais faire…J’ai alors commencé un CAP de pâtissier à Paris, puis suis revenu à Falaise pour passer mon baccalauréat en 1981. Parallèlement je peignais, je réalisais des collages façon Prévert, à la manière surréaliste, comme un amusement. Ensuite, pour remonter à Paris, je passe un concours des PTT pour avoir un emploi alimentaire mais je suis nommé à Évreux en 1983 ! Du coup Je décide de reprendre des études de littérature à l'université de Rouen où je vais faire la rencontre de la médiéviste Françoise Ferrand. Parallèlement je participe à une exposition caritative à la Maison des Arts où je présente des dessins appréciés par les visiteurs. Cette expérience m’amène à la conclusion qu’à cette époque-là, il était plus facile pour un artiste peintre d’exposer, que pour un écrivain de se faire éditer ou pour un musicien de trouver une salle de concert…

 

PR : Quel style de dessins as-tu exposé lors de cette exposition ?

CL : C’était ma première période créative : des dessins lavés. Une technique assez simple : « Si je ratais un dessin, je le passais sous la douche. Sur le papier, apparaissait alors quelque chose de nouveau ! ». En même temps, je continue mon travail d’écriture à la faculté, et ma professeur et médiéviste Françoise Ferrand m'invite à effectuer une étude comparative entre les Grands Chants courtois des trouvères et l'architecture des cathédrales gothiques. 

De fil d'or et d'argent - Christophe Leguiader      ( brou de noix, liant acrylique, collage, encre, feuilles d'or et d'argent)
De fil d'or et d'argent - Christophe Leguiader ( brou de noix, liant acrylique, collage, encre, feuilles d'or et d'argent)

PR : Pourquoi, pour qui étaient créées ces chansons d’amour au XIIe siècle ?

CL : C’était un art au service des puissants, Princes, Rois ou au service de l’Église. Jusqu’au XIIe siècle, tout se déroulait dans les campagnes, puis les villes ont commencé à prendre de l’importance. Création des premières communes où les artistes de l’époque étaient des moines qui, par la suite sont devenus des clercs. Ces premiers chants courtois deviendront « prétextes » à faire émerger un art profane. Notre-Dame, référence à la Vierge Marie, vocable profondément inscrit dans la tradition de l’Église aura par la suite un second vocable : Notre-Dame de Beauté, patronne de tous les artistes…

 

PR : Les artistes de cette époque ne travaillaient que sur commande ?

CL : Effectivement, à cette époque, les artistes sont des artisans – peintres, musiciens – qui réalisent leurs œuvres uniquement sur commande. « C’est une notion très importante pour moi, l’art est avant tout un métier ; l’art est utile. »

 

PR : Justement j’aborde ce thème dans l’édito de ce 228e Post’Art, peux-tu m’en dire plus ?

CL : Sans conteste, « l’art est utile » fût  mon postulat de base dès mes premières réalisations. Une autre réflexion me taraudait : « Pourquoi quand on rentre dans une église romane cistercienne où il n’y a rien, se dégage une impression de beauté. »  Comme cet ouvrage de Pierre Guyotat où il n’y a rien. Je considère que la littérature est primordiale dans mon processus de création.

  

PR : C’est pour cela que ton atelier est rempli de bouquins ?

CL : Mon atelier est d’abord une bibliothèque et je trouve fondamentale la pensée cistercienne de Bernard de Fontaine, abbé de Clairvaux : « Je le dis pour les simples, qui ne savent pas distinguer la couleur de la forme : la forme est essentielle à l'être ». Mais la musique est également importante pour moi. J’ai d’ailleurs appris la trompette lors de mon apprentissage en école du cirque.

 

PR : Y-a-t-il eu des moments charnières ? Y-a-t-il eu une évolution dans ton cheminement artistique ?

CL : En 1986, j’ai arrêté d’exposer. Je ne trouvais plus de sens, des questionnements sans réponse m’ont poussé à cette pause... Puis les aléas de la vie m’ont amené à Lille en 1991, progressivement je recommence à envisager un cheminement artistique et en 1995 je recommence à exposer : une série à base de brou de noix avec pour la première fois, la capacité à présenter un ensemble cohérent et homogène. Ce fût un succès d’estime, les encouragements de peintres lillois notoires et cela m’a permis de faire une rencontre, certainement, la plus importante de ma vie avec Suzy Maes. Elle possédait deux espaces à Bruxelles : une galerie spécialisée dans le meuble-sculpture et une autre dédiée à la location. Puis elle n’a conservé qu’une seule galerie - avenue Brugmann dans le quartier résidentiel des Sablons - avec quelques artistes dont je faisais partie, avec entre autres Speedy Graphito. Elle me prodiguait moultes conseils avisés, sans être directive et m’encourageait avec bienveillance vers une exigence de qualité. Pendant 15 ans, ce ne furent qu’expériences gratifiantes, constructives et productives.


Sans titre (papier) - Christophe Leguiader      ( brou de noix, liant acrylique, collage, encre)
Sans titre (papier) - Christophe Leguiader  ( brou de noix, liant acrylique, collage, encre)

PR : Et ta rencontre avec notre association La Société Artistique ?

CL : En 2002 lors d’une rencontre pendant un salon du peintre Julien Le Strugeon qui était membre adhérent de la Société Artistique depuis les années 50. À l’époque, il n’y avait déjà plus d’atelier : un problème électrique du four avait provoqué un incendie dans le local prêté par France Télécom. Avec un petit groupe d’artistes postiers, nous avons organisé un salon à Wattrelos où Julien prodiguait des cours. Puis en 2011, nous avons organisé en synergie avec la fédération, le Salon libre national à la salle des Célestines, une très belle cave voutée à Lille. Nous participions également aux salons nationaux organisés par la fédération jusqu’en 2013, cela nous permettait d’exposer à Paris avec un droit d’accrochage très peu onéreux. Notre Cercle Amical de Lille a été content de voir que, depuis ton arrivée à la fédération, cet événement fondateur et historique de la Société Artistique ait repris à partir de 2021.

 

PR : Est-ce que le questionnement que tes œuvres provoquent d’emblée sur nous, regardeurs, est un choix, une volonté délibérée de ta part ?

CL : C’est un peu délicat de répondre à cette interrogation… Les visiteurs sont souvent ébahis, mais surtout interloqués par les aspects techniques de mes œuvres : ce fameux vernis qui ressemble à de la laque, la petite pièce très brillante et quant à mes réalisations sur papier, c’est l’aspect « brûlé » qui les interpelle.

 

PR : Justement, peux-tu m’expliquer tes techniques ?

CL : Dans mon atelier de taille modeste, il me faut de l’eau, les dernières feuilles de rouleaux de sopalin. Au début j’utilisais l’encre de chine, maintenant le brou de noix à l’instar du peintre Pierre Soulages : c’est un matériau organique, végétal que je trouve chaleureux. Souvent la construction de ma toile se fait au brou de noix avec des traits linéaires, sans courbe ; m’inspirant de l’architecture des cathédrales. Ces traits rectilignes prédéterminent un espace bien défini. Charles Baudelaire ne nous dit-il pas : « Je déteste les courbes qui détruisent les lignes » « Je hais le mouvement qui déplace les lignes ».

 

PR : Pourquoi les dernières feuilles de sopalin ?

CL : C’est un aspect purement technique qui me permet, grâce à un lavement doux « d’écraser mon premier dessin » et qui est la deuxième phase dans mes réalisations. Ensuite je reconstruis tout un univers qui parle aux gens.

 

PR : Et l’élément brillant souvent que l’on peut observer sur la majorité de tes toiles ?

CL : C’est primordial. Souvent on me dit que » je peins des portes ». Effectivement cet élément s’apparente à un trou de serrure, une invitation pour les regardeurs, une incitation à la fascination. J’aime aussi qualifier mes toiles de « tableaux de porte ». Je conseille souvent de les exposer dans un couloir, un endroit de passage afin que la toile ne soit pas regardée de face, mais en passant pour garder une vision. Mais également pour donner une utilité à la toile, celles de rendre ton trajet agréable et de participer à la vie.  

 Sans titre (papier) - Christophe Leguiader ( brou de noix, liant acrylique, collage, encre)

Sans titre (papier) - Christophe Leguiader ( brou de noix, liant acrylique, collage, encre)

                                                                                

 PR : Crois-tu à l’inspiration, à ce souffle créateur qui anime l’artiste ? 

CL : Pas du tout. Il peut y avoir des choses qui marquent, de légères et courtes fulgurances mais je crois surtout à la valeur travail. En revanche, il est très important d’avoir une mise en condition, une sorte de concentration qui peut durer quelques dizaines de minutes, plusieurs heures ou plus si besoin.

 

PR : Te considères-tu comme un autodidacte ? 

CL : Je n’ai pas pris de cours de peinture au sens littéral du terme. L’essentiel je l’ai appris par des cours en école du cirque : être rigoureux, travailler, s’entraîner. Cela vaut pour tous les arts, le reste n’est que de la technique qui s’apprend…Ce que j’ai toujours recherché et que je trouve formateur, c’est la rencontre avec d’autres artistes, aller à des expositions, passer du temps dans les musées. Lorsque j’étais à Évreux, j’ai eu la chance d’assister chaque mois à des expositions-conférences avec des artistes tels que Hans Hartung et à Lille, j’échange régulièrement avec le groupe des artistes de Roubaix.

 

PR : Le point de départ de tes créations semblent être de la poésie, un écrit ?

CL : Oui à 90%. Exemple de ma dernière exposition personnelle ayant pour motif les fleurs où j’ai pris le poème d'Arthur Rimbaud adressé à Théodore de Banville « Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs » et celui de Louis Aragon « La Rose et le Réséda ». Le point de départ de mes créations peut parfois être un objet. D’ailleurs, pour mon prochain tableau grand format, je vais me servir du papier de soie qui enveloppe habituellement les mandarines. J’ai  également une réalisation en cours d’élaboration dont l’inspiration va émaner du manteau de Roger II de Sicile de couleur rouge qui se trouve à Vienne.

 

PR : Quel rôle joue la peinture actuellement ? L’artiste a-t-il une influence sur le monde qui l’entoure ?

CL : L’artiste n’existe que s’il y a quelqu’un qui le regarde. L’artiste ne peut pas exister tout seul. L’art est la conjonction de 3 choses : un créateur, un spectateur et une œuvre. La magie réside dans ce principe-là. L’art est un discours, un dialogue…

 

PR : As-tu déjà collaboré avec d’autres artistes ?

CL : Oui en 2002. J’ai vécu une expérience très forte, intense mais difficile également, avec deux jeunes artistes Olivier Radonic et Joel Fouquet. L’idée était de créer des œuvres en groupe, signées par le groupe Appart et non par l’artiste individuellement. Nous avons exposé pendant deux ans.

 

PR : Et l’importance de Mozart ?

CL : J’écoute plutôt Bach. En revanche, Mozart est pour moi le premier artiste libre, le premier artiste indépendant, le premier artiste freelance…

 

PR : As-tu des projets ?

CL : Personnellement, des participations à des expositions collectives. Actuellement je m’investis énormément dans mon rôle de Président de l’association Reliances d’Artistes avec laquelle j’organise différentes manifestations de peinture dans la chapelle d’Hem - véritable chef-d’œuvre de l’art sacré (tapisserie de Georges Rouault, sculptures d’Eugène Dodeigne, immense mur-vitrail d’Alfred Manessier) - pour les Journées du Patrimoine, les ouvertures d’ateliers d’artistes. Nous collaborons également avec le festival  Mos’Art d’Hem dédié aux mosaïques contemporaines.

Christophe Leguiader
Sans titre - Christophe Leguiader ( brou de noix, liant acrylique, collage, encre)

Extrait de la revue Post'Art #228 - décembre 2024

 

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