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La culture en pied d’immeubles

  • Photo du rédacteur: Pierre RAFFANEL
    Pierre RAFFANEL
  • 6 juil. 2024
  • 9 min de lecture

Dernière mise à jour : 6 juil. 2024

Rencontre avec Patricia Guérin, Directrice de la culture du bailleur social Toit et Joie – Poste Habitat.

Interview et article de Pierre Raffanel

© Patricia Guérin  - Directrice de la culture Toit et Joie - Poste habitat

© Patricia Guérin  - Directrice de la culture Toit et Joie - Poste habitat


Pierre Raffanel : Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots votre rôle de Directrice de la culture au sein du bailleur social Toit et Joie – Poste Habitat (1) ?

Patricia Guérin : Mon rôle est d’animer cette direction de la culture et de mener à bien avec mes collègues une trentaine de projets par an que nous réalisons dans nos résidences avec nos habitants. Ces projets au long cours durent de 6 mois à 2 ans et sont réalisés en co-création avec des compagnies artistiques professionnelles et nos locataires. Cette direction de la culture a pour but d’aller au-delà des missions premières du bailleur social qui est de loger les habitants, de les accompagner et de les amener dans un imaginaire, dans une découverte de cultures variées, tout en étant à l’écoute des cultures émanant de chaque habitant.

 

PR : Quelles raisons motivent un bailleur social à mener des actions culturelles ?

PG : Cette direction de la culture a trois objectifs.

Le premier est le bien-vivre ensemble. Ces actions culturelles sur un temps long favorisent des moments conviviaux et permettent l’organisation d’ateliers. Ces rencontres génèrent du lien entre les résidents, atténuant par anticipation des frictions éventuelles. Ces projets culturels in situ permettent au bailleur d’avoir une présence accrue sur le « terrain », d’améliorer les échanges avec les locataires, d’être plus à l’écoute et de placer les relations humaines au premier plan.

Le deuxième est l’accès à la culture par l’expérience, ou plus exactement d’aventures culturelles avec des compagnies artistiques qui vont venir régulièrement dans les résidences, permettant aux locataires de voir l’artiste dans son processus de création, d’être dans les coulisses du processus créatif. Ce qui est unique ; habituellement c’est le public qui se déplace voir des spectacles, dans nos projets ce sont les artistes qui vont vers le public.

 

PR : Un peu à l’image du facteur postier qui vient amener le courrier à domicile…

PG : Tout à fait. Ces projets rendent les artistes plus accessibles permettant une proximité à la culture,  un partage moins élitiste. Le troisième objectif est de porter un autre regard sur les quartiers populaires. Les médias relaient souvent des informations négatives. Nos projets permettent d’apporter un autre regard plus constructif sur les quartiers.

« Le Lion des Genêts » rebaptisé par les jeunes «Chelsea B’Gem » (2020, placage bois sur structure acier) . Cette sculpture monumentale est devenue l’emblème du quartier des Genêts. Cette œuvre collective a été réalisée dans le cadre de la réhabilitation de la résidence Toit et Joie - Poste Habitat à Saint–Michel-sur -Orge avec La Lisière (centre de création pour l’espace public) et deux artistes plasticiens Anton et Teurk. Ce projet s’inscrit dans le cadre du programme 1 Immeuble 1 Œuvre et a été mis à l’honneur fin 2023 dans le hors-série Connaissance des Arts.  © Toit et Joie - Poste Habitat

« Le Lion des Genêts » rebaptisé par les jeunes «Chelsea B’Gem » (2020, placage bois sur structure acier) . Cette sculpture monumentale est devenue l’emblème du quartier des Genêts. Cette œuvre collective a été réalisée dans le cadre de la réhabilitation de la résidence Toit et Joie - Poste Habitat à Saint–Michel-sur -Orge avec La Lisière (centre de création pour l’espace public) et deux artistes plasticiens Anton et Teurk. Ce projet s’inscrit dans le cadre du programme 1 Immeuble 1 Œuvre et a été mis à l’honneur fin 2023 dans le hors-série Connaissance des Arts.  © Toit et Joie - Poste Habitat

 

PR : Depuis combien de temps ces projets culturels en pied d’immeubles existent-ils et s’agit-il d’une politique culturelle à proprement parler ?

PG : Sept ans. Cette direction de la culture a été créée par Michèle Attar, Directrice générale de Poste Habitat. Depuis son départ à la retraite, Sylvie Vandenberghe a pris le relais en continuant à soutenir ces projets culturels pour promouvoir le bailleur en harmonie avec toutes les Directions de Toit et Joie - Poste Habitat.

 

PR : Le budget alloué à votre direction de la culture est-il uniquement corrélé à l’abattement de la taxe foncière sur les propriétés bâties ?

PG : Il y a plusieurs sources financières. En premier lieu, les fonds propres de Poste Habitat, puis la TFPB - abattement de la taxe foncière sur les propriétés bâties - qui va financer des projets uniquement en quartiers prioritaires de la  politique de la ville. Ensuite ce sont des financements  essentiellement du secteur culturel : ministère de la Culture notamment la DRAC île-de-France et pour des projets ponctuels, d’autres financeurs comme le Centre National du Livre, la Fondation de La Poste, le fonds de dotation agnès b…Depuis peu, nous nous orientons également vers des financements dans la construction : Groupe Angevin, Groupe Legendre…

 

PR : Vos actions culturelles sont-elles bien accueillies par les locataires ?

PG : Globalement oui, dans la mesure où nous faisons cette démarche avec la complicité des locataires depuis sept ans. Pour assurer  le succès de nos projets nous avons établi un mode opératoire constitué de plusieurs étapes : réunions de concertation, lancements de projets pour expliquer notre démarche pour rendre les projets moins abstraits. Ces temps de médiation et de « moments conviviaux » sont indispensables pour obtenir une bonne participation et adhésion des résidents.

 Réalisation de Cécile Jaillard, La Nature et les jardins  (Résidence à Villiers-Le-Bel) © Toit et Joie - Poste Habitat, photo : Patricia Guérin                      Ministère de la Culture  - Le Prix 1 immeuble 1 œuvre 2023

Réalisation de Cécile Jaillard, La Nature et les jardins  (Résidence à Villiers-Le-Bel) © Toit et Joie - Poste Habitat, photo : Patricia Guérin

Ministère de la Culture  - Le Prix 1 immeuble 1 œuvre 2023

 

PR : Quel est le rôle des gardiennes, gardiens d’immeubles ?

PG : Primordial. Ils sont de véritables ambassadeurs de nos projets et jouent un rôle majeur dans le lien avec les locataires : affichage, aide pour du porte-à-porte, coups de main pour l'organisation des goûters, rôle d’alerteur… Quelquefois ils peuvent être à l’initiative de certains projets.

 

PR : La direction de la culture a-t-elle de réelles interactions avec le comité de direction du bailleur social ?

PG : Oui, nous avons une bonne coordination et encore plus s’il y a des opérations de démolition-reconstruction. L’exemple de la résidence de L’Haÿ-les-Roses où nous avons travaillé en étroite collaboration avec la Direction de la maîtrise d’ouvrage de Toit et Joie – Poste Habitat pour la réalisation du livre avec le photographe Patrick Zachmann est assez emblématique. Nous avons également de multiples interactions avec la Direction du patrimoine et de la politique de la ville, le service de la communication ou encore le service RH. De plus la direction de la culture siégeant au Comité de Direction avec les autres directions, cela nous permet d’avoir connaissance de tous les projets en cours. D’autre part un journal interne diffusé à l’ensemble du Groupe et à ses partenaires ainsi qu’une revue envoyée à nos locataires assurent une communication autour de nos différentes actions.

 

PR : Combien de résidences d’artistes sont organisées annuellement ?

PG : Environ une trentaine de projets et autant de compagnies artistiques.

 

PR : Plutôt impressionnant quantitativement ?

PG : Effectivement. Avant de contractualiser avec les compagnies artistiques, nous redéfinissons en amont le contexte de nos projets de manière à ce que les artistes s’approprient nos missions, qu’ils puissent réaliser du sur-mesure. Il arrive parfois qu’ils réécrivent le projet qu’ils avaient imaginé au départ.

 

PR : Des appels à projets sont-ils systématiquement mis en place ?

PG : Un par an, exceptionnellement deux en 2024. Ces appels à projets nous permettent de renouveler nos réseaux d’artistes et de nous faire connaître de manière plus large comme opérateur culturel.

Réalisation de Claire Courdavault  « Le temps des Andelys » fresque monumentale à l’échelle de la ville et de son architecture accompagnée par l’ association Quartier Monde dans le quartier des Friches, à Maurepas © Toit et Joie - Poste Habitat

Réalisation de Claire Courdavault  « Le temps des Andelys » fresque monumentale à l’échelle de la ville et de son architecture accompagnée par l’ association Quartier Monde dans le quartier des Friches, à Maurepas © Toit et Joie - Poste Habitat

 

PR : J’ai eu le privilège au mois de février d’être un des  huit membres du jury du dernier appel à projets Poste Habitat « Prendre place » pour une résidence de création partagée dans la ville de Saint-Denis. Les artistes que nous avons choisies ont fait consensus de manière quasi-unanime, est-ce le cas habituellement ?

PG : Oui, plutôt.

 

PR : Les résidences d’artistes sont-elles destinées uniquement à des artistes d’arts visuels ? 

PG : Non, nous abordons toutes les disciplines artistiques : photographie, cinéma, littérature, arts graphiques, BD, théâtre, arts graphiques, musique…en essayant de « tordre le cou » à cette idée reçue qu’il n’y aurait que de l’art urbain en banlieue.

 

PR : Est-ce que ces projets culturels génèrent du lien social entre artistes et locataires ? Peut-on d’une certaine façon le quantifier ?

PG : Nous l’appréhendons entre autres par les réactions des gardiens, des résidents qui nous sollicitent suite à un premier projet pour renouveler une autre action l’année suivante. C’est plutôt du ressenti ! Nous avons la volonté avec la Directrice générale Sylvie Vandenberghe de mener une étude plus approfondie avec l’Observatoire des politiques culturelles. Cette étude durera une année et s’effectuera sur un échantillon de nos projets. Elle permettra d’évaluer l’impact de nos actions sur les locataires mais également nos relations avec les acteurs culturels du territoire, les partenaires locaux (médiathèques, villes, maisons de quartier…). Par ailleurs, nous avons été honorés en 2023 du prix 1 immeuble 1 œuvre par l’ex-ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, ce qui montre la part d’intérêt et de confiance que ce ministère porte à nos actions.

 

PR : Les artistes étant parfois « égocentrés », sont-ils toutes et tous appétent(e)s à ce genre de propositions culturelles ?

PG : Effectivement nos projets vont plutôt se réaliser avec des artistes qui ont le souhait de se confronter à un public éclectique avec un désir de « sortir de leur zone de confort ». Certaines compagnies artistiques cherchent ce type de projets comme matière première pour la création de leurs œuvres : par exemple des artistes travaillant sur l’écriture d’une pièce de théâtre peuvent avoir besoin de confronter leur texte grâce à l’interprétation de jeunes résidents (insertion de termes argotiques ou de témoignages de mémoire pour étayer un sujet…). Les artistes vont ainsi « nourrir leur art » et les résidents vont pouvoir s’initier au processus de création, prendre part à un projet en commun, performer, se sentir fiers de leur participation durant l’élaboration créative et lors de la restitution en public des projets. Pendant la période du Covid, les artistes ont été privés de leur public. Beaucoup ont eu à cœur désormais d’aller vers le public et de sortir des lieux culturels traditionnels. De plus, les professionnels de la culture ont pris conscience que dans les grandes institutions, au théâtre par exemple, c’est souvent les mêmes personnes qui se déplacent et du coup, nos actions leur permettent de s’ouvrir à de nouveaux publics.

 

PR : Comment s’organisent les résidences d’artistes ? Ont-elles un protocole prédéfini en amont et une récurrence dans leur déroulement ?

PG : Les artistes établissent le format, le calendrier de leurs interventions dans la résidence et de notre côté, nous leur signifions qu’une récurrence de leur présence est primordiale au bon déroulement de nos projets. Des étapes essentielles et identiques pour chaque action menée : présentation, lancement, développement et restitution avec des points d’orgue durant le projet.

 

PR : L’ancrage territorial du bailleur social Poste Habitat se concentre essentiellement sur l’île-de-France, est-ce que des projets artistiques sont en cours dans les résidences en Normandie, Rhône-Alpes et Provence ? 

PG : Nos activités sont effectivement concentrées sur l’île-de-France et nos résidences en Normandie, Rhône-Alpes et Provence sont assez récentes, une quinzaine d’années. Depuis 2023, nous portons un nouveau projet pour chaque région et cette année, nous allons intégrer ces projets dans notre festival « Au-delà des toits ».

 

PR : Actuellement les institutions culturelles ont-elles une réelle volonté à chercher de nouvelles manières d’attirer de nouveaux publics ?

PG : Oui, c’est réellement tangible. Nous le voyons au travers de nos récentes et nouvelles collaborations : INRAP, centre Pompidou (dispositif 1 jour 1 œuvre), musée de La Poste, Scène nationale de l’Essonne, pourparlers avec le musée du Louvre, le Palais de Tokyo ou encore Chaillot…

 

PR : Peut-on considérer que ces actions culturelles permettent d’avoir un accès à la culture moins consumériste ?

PG : Oui sans conteste. J’ai pour exemple un projet d’une série dont un épisode a été réalisé dans la ville des Ulis avec La Compagnie L’œil du Baobab qui a permis à une locataire retraitée de se découvrir une vocation d’actrice ; elle a été récemment recrutée comme figurante dans une série à gros budget tournée à La Défense. 

 

PR : Votre parcours professionnel est et a été résolument lié au secteur culturel (École du Louvre, DEA d’histoire contemporaine sur les relations entre la télévision et l’art, centre d’archives « musiques électro-acoustiques » de Pierre Schaeffer, maison d’édition Images modernes fondée par Bernard Picasso, Alliance Française à Toronto, comité d’entreprise de la Ratp), si vous deviez ne retenir qu’une de vos expériences, laquelle choisiriez-vous ?

PG : Peut-être une expérience qui fait le lien avec tout mon parcours culturel, ma rencontre avec François Morel. Lorsque j’étais Directrice de la culture de l’Alliance Française à Toronto, je l’ai invité pour une présentation de son parcours d’acteur et pour l’enregistrement d’un billet  France Inter à Radio-Canada. À mon retour en France, j’étais alors responsable du centre culturel de la Ratp, François m’a sollicitée pour une recherche d’orchestre qui pourrait l’accompagner pour sa dernière date de tournée de chant à l’Olympia. Je lui ai proposé l’orchestre des agents de la Ratp et ce fût un magnifique moment de partages artistiques. Ce même orchestre de la Ratp a joué avec l’orchestre du Club Musical de La Poste pour la première date du festival Au-delà des toits en 2022 dans notre résidence de Bagneux : la boucle était bouclée !

 

PR : Comment est né le festival des arts visuels « Au-delà des toits » ?

PG : Dès la création de cette Direction de la culture. Ce festival met en valeur les projets grâce à ces restitutions et permet aux locataires de performer.

 

PR : Quand aura lieu le prochain festival ? Sa programmation nous réserve-t-elle des surprises ? Sera-t-il parrainé ?

PG : En 2023, le festival « Au-delà des toits » a duré 1 mois et proposait 16 manifestations. Cette année, le festival 2024 se déroulera sur une période plus longue : du 15 mai au 29 juin avec 22 manifestations dont 3 en régions. Deux partenariats importants ont été établis pour ajouter un concert à chaque manifestation : concerts classiques avec le festival OuVERTures et musiques actuelles avec les Musiciens du Métro de la Ratp. Pour la première fois, le festival aura un parrain : Jack Lang. Nous sommes très heureux et honorés de ce parrainage !

© Patricia Guérin  - Directrice de la culture Toit et Joie - Poste habitat

Festival 2024 « Au-delà des toits » © Toit et Joie - Poste Habitat


Retrouvez l'interview de Jack Lang, Président de l’Institut du Monde Arabe, ancien ministre de la Culture et parrain du 7e festival Au-delà des toits.


 (1) Toit et Joie  - Poste Habitat a été créée en 1957 à l’initiative d’Eugène Thomas, secrétaire d’état aux PTT, pour fournir de nouvelles possibilités d’habitation aux personnels des Postes et de Télécommunications qui ne bénéficiaient pas, à l’époque des contributions patronales du logement. Aujourd’hui, au sein du groupe La Poste, la SA Hlm Toit et Joie perpétue les valeurs qui ont présidé à sa création. Les missions de Poste Habitat poursuivent un objectif inchangé, à savoir loger prioritairement les postiers. Cependant, Poste Habitat n’a de cesse de se réinventer pour approfondir sa vocation initiale. C’est ainsi que le groupe a repensé son territoire d’intervention, originellement réservé à l’Ile-de-France (Toit et Joie –Poste Habitat – 15.000 logements annuels) et désormais étendu à la région Rhône-Alpes (800 logements), à la Provence (800 logements) et à la Normandie (600 logements). 


Article de Pierre Raffanel

Extrait de la revue Post'Art 227 (mai 2024)


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